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Notre enquête réalisée pour Ouest France le jour du vote auprès de plus de 3000 Français permet de comprendre quelles ont été les motivations des votants et des abstentionnites et quel est leur profil.
Une participation en demi-teinte
Un Français sur quatre s’est abstenu lors du premier tour de l’élection présidentielle. L’abstention est donc en hausse par rapport à celle enregistrée au premier tour de 2017 (22%) mais néanmoins inférieure à celle record d’avril 2002 (28%). En d’autres termes, pile au milieu dans cet étiage annoncé depuis quelques mois.
On peut voir le verre « à moitié plein » (les trois quarts des inscrits sont allés voter, ce qui montre la persistance du caractère « à part » de l’élection présidentielle, qui reste l’élection reine et un moment fort de notre démocratie) ou à moitié vide (2e plus haut niveau d’abstention jamais mesuré pour une élection présidentielle sous la Vème République, reflet d’une certaine fatigue démocratique des Français).
Sociologie des abstentionnistes et des votants
La sociologie de la participation apparaît assez classique par bien des aspects.
- L’influence du milieu social reste très forte. Ainsi, les CSP+ (84%) et notamment les cadres (87%) ont davantage voté que les CSP- (71%) et notamment les ouvriers (67%, 69% en 2017). Le sentiment d’appartenance sociale renforce encore cette dichotomie : parmi les individus se considérant eux-mêmes comme faisant partie des « classes défavorisées », seul un sur deux a voté (51%) contre 80% de ceux qui considèrent appartenir aux classes aisées et supérieures et 83% de ceux qui se sentent appartenir aux classes moyennes supérieures.
- En termes de sensibilité politique, notons une forte mobilisation toutes tendances confondues, en particulier des sympathisants des trois candidats arrivés en tête : 88% des sympathisants de LFI, 87% des sympathisants LREM et 88% des sympathisants du RN. Le plus faible taux de participation est enregistré chez les Français qui ne se reconnaissent dans aucun parti (60%).
Le seul fait vraiment nouveau et notable de ce premier tour est la relativement forte mobilisation des primo-votants, qui s’est en partie cristallisée dans les derniers jours avant le scrutin a été portée par la candidature de Jean-Luc Mélenchon.
Une abstention guidée par la lassitude et le désenchantement plus que par la colère
Trois raisons principales sont évoquées dans des proportions similaires par les répondants pour expliquer leur abstention :
- 26% des abstentionnistes « n’attendaient pas grand-chose de cette élection » considérant qu’elle « ne changerait rien à leur quotidien »
- 26% également indiquent qu’ils « ont eu un empêchement personnel », peut-être une manière de masquer un manque de motivation ou d’intérêt
- 25% des abstentionnistes indiquent enfin qu’« aucun candidat ne leur convenait ».
On observe donc un grand désenchantement à l’égard de la politique, doublé d’un problème d’offre.
En revanche, 14% seulement des inscrits sur les listes électorales se sont abstenus pour « exprimer un mécontentement ». La désillusion et la lassitude l’emportent donc clairement sur la protestation.

Le vote blanc, expression politique
Un peu plus de 2% des votants ont choisi de mettre un bulletin blanc ou nul dans l’enveloppe.
- Près d’un sur deux explique son geste par le fait qu’ « aucun candidat ne [lui] convenait » (45%), devant le fait de vouloir « exprimer un mécontentement » (26%).
- Ces électeurs témoignent donc d’une conscience politique forte et, s’ils expriment également une certaine lassitude à l’égard de la politique, c’est dans une mesure moindre que les abstentionnistes
Le pouvoir d’achat, principal enjeu de cette élection
- Le principal enjeu, qui écrase clairement tous les autres, est le pouvoir d’achat, cité par 45% des électeurs, devant la situation économique (31%) et l’identité et les valeurs de la France (26%).
- L’immigration (24%) et la sécurité (24% également) arrivent juste derrière.
- La guerre en Ukraine arrive loin derrière (14%). Le chômage n’a compté que pour 9% des électeurs lors de ce premier tour alors que c’était le premier motif de vote en 2017.
- L’environnement aura peu pesé dans ce premier tour. Trois jours après la publication du dernier rapport alarmiste du GIEC, seuls les électeurs de Yannick Jadot en ont fait une question véritablement centrale.

Le vote Macron porté par sa stature présidentielle et la guerre en Ukraine, bien plus que par son projet politique
- Seuls 32% de ses électeurs l’ont choisi pour ses propositions politiques. Ces derniers ont avant tout valorisé sa stature présidentielle (58%) et ont prêté particulièrement attention au contexte de guerre en Ukraine (44% contre 14% en moyenne). On peut donc qualifier ce vote « de raison » visant à reconduire un Président à qui l’on fait confiance – ou plus confiance qu’aux autres – dans un contexte incertain.
- Son bilan a sans doute également pesé puisqu’Emmanuel Macron bénéfice d’un socle solide : 72% de ses électeurs déclarent « avoir toujours su qu’ils allaient voter pour ce candidat ». C’est de loin le candidat qui enregistre le plus haut niveau sur cet indicateur. D’ailleurs, la situation économique du pays est le premier thème auquel ses électeurs ont prêté attention (56% contre 31% en moyenne).
- Enfin, Emmanuel macron a réussi à reconstituer en grande partie son socle électoral de 2017 : 71% de ses électeurs du premier tour de 2017 ont voté pour lui à nouveau. Il a réussi également à capter un tiers des électeurs de François Fillon (33%) et 12% de ceux de Benoît Hamon. En termes de sociologie, il reste le candidat des gens aisés, des cadres et des urbains.
A l’inverse, Marine Le Pen a été choisie pour son projet politique
- Marine Le Pen a clairement été choisie par ses électeurs avant tout pour ses propositions politiques (58%). Sa stratégie consistant à se concentrer sur les questions de pouvoir d’achat semble avoir été payante puis c’est le principal sujet dont les Français ont tenu compte dans leur vote (45%) et ses électeurs tout particulièrement (56%).
- Pour autant, ces derniers n’ont pas oublié « le logiciel initial » de la candidate RN : 59% placent la question de l’immigration en tête des enjeux qui ont compté dans le vote.
- Comme en 2017, ce sont les 25-34 ans qui ont le plu voté pour elle (32%, +7 pts). Elle récolte 39% des voix des ouvriers (43% en 2017), 30% des voix des bas revenus (+2 pts), 45% des votes de ceux qui se considèrent comme appartenant aux classes défavorisées et 42% des votes de ceux qui se considèrent comme « gilets jaunes ». Auprès de ces électorats, elle surpasse de très loin Jean-Luc Mélenchon.
- Elle a par ailleurs bénéficié, dans la dernière ligne droite, d’une logique de vote utile à l’extrême-droite : 20% de ses électeurs déclarent qu’ils voulaient initialement voter pour un autre candidat mais avoir changé d’avis et au final, ce sont 42% de ses électeurs qui affirment s’être décidés au cours du mois écoulé.
Jean-Luc Mélenchon, en embuscade, a su mobiliser sur la dernière ligne droite
- Plus encore qu’en 2017, il emporte les suffrages des plus jeunes, 31% des 18-24 ans s’étant rendu aux urnes ayant voté pour lui. Il obtient de très bons scores également chez les 24-34 ans (30%) même s’il est devancé chez ces derniers par Marine Le Pen (32%).
- En termes de milieu, sa sociologie n’évolue guère depuis 2017 : il ne s’impose dans aucune catégorie sociale et réalise des scores à peu près similaires dans toutes les catégories : 23% des ouvriers ont voté pour lui… tout comme 23% des cadres. Les électeurs des grandes villes ont en revanche un peu plus voté pour lui (26%). Il semble avoir un peu moins su convaincre les plus démunis qu’en 2017, concurrencé fortement par Marine Le Pen, auto-intronisée candidate du pouvoir d’achat.
- Jean-Luc Mélenchon a lui aussi bénéficié d’une logique de vote utile : 20% de ses électeurs déclarent l’avoir choisi pour sa capacité à qualifier leur camp au second tour (contre 11% en moyenne). Il a par ailleurs été avant tout choisi pour ses propositions politiques (53%) mais aussi par volonté de faire barrage à un autre candidat (31%). C’est le candidat qui a le plus été choisi pour cette dimension.
Des dynamiques de fin de campagne amplifiées par des logiques de vote utile
Les motivations de vote pour les trois candidats arrivés en tête sont assez claires et l’on voit bien que leurs dynamiques ont été amplifiées en fin de campagne par des électeurs venus rejoindre leur rang, chacun dans une logique de vote utile différente : permettre à l’extrême-droite d’accéder au second tour de façon confortable, permettre à la gauche de peser dans le débat et tenter d’éviter la même configuration de 2nd tour et enfin, volonté de maintenir une certaine stabilité et de jouer la continuité dans un contexte incertain. Des logiques qui ont fait de nombreuses victimes collatérales, au premier rang desquelles les deux candidates des partis traditionnels de la Vème République.