A trois semaines du premier tour, 69% des Français inscrits sur les listes électorales seulement déclarent s’intéresser à cette élection. Ce niveau d’intérêt est nettement moins élevé qu’en 2017 à pareille échéance du scrutin (74%). L’intention de participation est, elle aussi, modérée pour une élection présidentielle. Seuls 71% des Français déclarent aujourd’hui avoir l’intention d’aller voter, en donnant une note de 9 ou 10 sur 10 pour qualifier cette intention.
Ce sont donc 29% des inscrits qui, aujourd’hui, ne sont pas certains d’aller voter. Si cela se confirmait dans les urnes le 10 avril prochain, le niveau d’abstention serait similaire à celui observé le 21 avril 2002 (28,4%), le plus haut niveau jamais enregistré pour une élection présidentielle.
Avec Orange et RTL, nous avons souhaité essayer de comprendre les profils et les motivations de ces deux catégories peu explorées : les « non-inscrits » (sur les listes électorales) et les abstentionnistes potentiels.
Non-inscrits : qui sont-ils ?
D’après une étude publiée par l’INSEE en février 2020, 94 % des Français en âge de voter sont inscrits sur une liste électorale, un chiffre très proche en « déclaratif » dans notre sondage : 93%. 7% des Français de 18 ans et plus affirment donc ne pas être inscrits. Cela représente plus de 3,5 millions de Français qui ne sont pas ou ne pensent pas être inscrits sur les listes électorales.
Parmi les « non-inscrits » interrogés, ils sont un peu plus d’un sur deux (51%) à déclarer avoir l’intention de s’inscrire sur les listes électorales afin de pouvoir voter à la prochaine élection présidentielle. Dont moins d’un quart (22%) « certainement ». On peut supposer que ce dernier chiffre est plus proche de la réalité. Autrement dit : dans leur majorité, ces « non-inscrits », qui expriment surtout un manque d’intérêt pour la politique (première raison citée, par 27% d’entre eux) sont difficiles à ramener vers les urnes.

Non-inscrits : désintéret profond pour la politique
Interrogés sur les raisons pour lesquelles ils ne sont pas inscrits sur les listes électorales, les non-inscrits expriment d’abord un désintérêt. 37% répondent en effet que c’est parce qu’ils ne s’intéressent pas à la politique, principale raison évoquée, de loin. Elle devance le fait d’avoir déménagé et de ne pas avoir fait les démarches pour s’inscrire dans sa nouvelle commune (25%). Cela pose la question de l’inscription automatique sur les listes électorales. 16% des non-inscrits se rapprochent des abstentionnistes, en questionnant l’utilité du vote. Ils ne voient pas l’intérêt de voter et pensent que les élections ne servent à rien. Les autres raisons sont citées dans des proportions beaucoup plus faibles. Ainsi, par exemple, seuls 8% des non-inscrits estiment que les démarches pour s’inscrire sont trop compliquées.

Désenchantement, désillusion, sentiment de ne pas être représenté sont donc des raisons qui prévalent sur la colère. L’abstention comme marque forte d’un engagement ou d’une expression a du reste toujours été minoritaire. Ce sont ces mêmes raisons que confirme l’analyse des verbatim de notre question ouverte : sentiment d’inutilité et manque de confiance envers les politiques, autour de l’idée qu’ils ne tiennent jamais leurs promesses. Les motifs strictement logistiques ne sont cités que par 8% des abstentionnistes potentiels.
abstentionnistes : qui sont-ils ?
Près de 30% des Français inscrits sur les listes électorales pourraient ne pas voter le 10 avril prochain. Ces abstentionnistes potentiels ont des profils assez proches des non-inscrits.

- Ce sont, classiquement, tel que le montrent les études de sociologie électorale depuis des décennies, surtout des jeunes. Chez les moins de 35 ans, plus de 4 sur 10 pourraient décider de s’abstenir au premier tour. Cette abstention apparaît plus forte encore chez les 25-34 ans (44%) que chez les 18-24 ans (36%).
- Ce sont, classiquement aussi, plutôt les CSP-. Ils sont près de 4 sur 10 à déclarer avoir l’intention de s’abstenir, contre moins de 3 sur 10 chez les CSP+ et les professions intermédiaires.
- En revanche, ce qui différencie les abstentionnistes des non-inscrits, c’est leur sensibilité politique. Là aussi, les Français qui ne se sentent d’affinité avec aucun parti pourraient le plus s’abstenir (46%). On trouve aussi un potentiel d’abstention élevé au sein de certaines familles politiques, notamment à gauche. Près de 4 sympathisants de LFI sur 10 (39%) déclarent pour le moment avoir l’intention de s’abstenir. On comprend dès lors tout l’enjeu de la mobilisation pour Jean-Luc Mélenchon.
désenchantement et absence de suspense, moteurs des abstentionnistes
Première raison évoquée, par 41% des abstentionnistes potentiels : le fait « qu’ils n’attendent pas grand-chose de cette élection, que cela ne changera rien à leur quotidien ». On enregistre une baisse de 9 points sur cet item depuis une précédente mesure en novembre dernier. Cette raison progresse avec l’âge des personnes interrogées. Comme si l’expérience de la vie rendait certaines catégories de la population de plus en plus désabusées.
Deuxième raison évoquée, quasiment à égalité avec 40% des citations : « l’impression que les jeux sont déjà faits », qui progresse de 10 points ! C’est même la première raison évoquée par les sympathisants du RN ayant l’intention de s’abstenir (49%). Marine Le Pen fait face elle aussi à un enjeu fort de (re)mobilisation de son électorat.
Troisième raison citée : « l’impression que leur vote ne compte pas » (30%, -4) devant la volonté d’attendre de voir les propositions des candidats (29%, +3), à égalité avec le fait « qu’aucun candidat ne représente [leurs] idées » (29%, -10). Le manque d’intérêt pour la politique n’arrive qu’en sixième position (21%), ex-aequo avec la volonté d’exprimer un mécontentement (21%).

Désenchantement, sentiment d’inutilité du vote, sentiment de ne pas être représenté sont donc des raisons qui prévalent sur la colère à proprement parler. Le désintérêt est un moteur beaucoup moins puissant que chez les non-inscrits. Ce sont ces mêmes raisons que confirme l’analyse des verbatim de notre question ouverte. A quoi s’ajoutent le manque de confiance dans le personnel politique et la crise ukrainienne qui occulte la campagne. Les motifs strictement logistiques comme le fait ne pas avoir le temps de voter ou de travailler le dimanche ne sont que très peu cités.

Quels leviers activer ?
La reconnaissance du vote blanc s’impose comme le moyen jugé le plus efficace pour lutter contre l’abstention. Elle est citée par 53% des Français, y compris les abstentionnistes (52%). Elle devance les changements des modalités de vote (électronique, à distance…) cité par 40% des Français. Un moyen cité par 33% des abstentionnistes seulement (logique vu le faible poids de ces facteurs logistiques dans leur motivation). Ces derniers leur préfèrent un renouvellement du personnel politique (34%). Le vote obligatoire est cité par 33% des Français mais 19% des abstentionnistes seulement.

C’est sans doute dans le rapport au vote que beaucoup de choses se jouent. Près des trois quarts des inscrits ayant l’intention d’aller voter (74%) le perçoivent comme un devoir que chacun devrait se sentir obligé d’accomplir. Les abstentionnistes potentiels le perçoivent à l’inverse comme un droit que chacun devrait être libre d’exercer ou non (60%).
Deux visions de la démocratie ?